Jigoro Kano, fondateur du judo, y faisait déjà référence, ainsi que Gichin Funakoshi et Morihei Ueshiba. Georges Charles commente ce mois-ci une série d’articles sur Shaolin Shi, le Monastère de la Petite Forêt.
Lorsqu’un beau matin de 1928, au Japon, parait dans la presse grand public le premier article de vulgarisation sur le Karaté Do, deux illustrations encadrent le texte. La photo d’un homme de petite taille travaillant au makiwara et un magnifique plan du Monastère de Shaolin (plan que nous reproduisons ici).
L’auteur explique que le Karaté Do est un art de combat provenant d’Okinawa et dérivant directement du Kempo chinois. Kempo, en japonais, se lit Chuan Fa (Art du Poing) en chinois. II explique que Kara signifie «qui provient du Continent» et qu’en chinois ce caractère se lit Tang, du nom de la fameuse dynastie (618-907) pendant laquelle un Monastère se couvrit de gloire grâce à la valeur martiale de ses moines : Sho Rin Ji (Monastère de la Petite Forêt)… alias Shao Lin Shi en chinois…
Le Karaté Do est donc «L’Art, ou la Voie de la main provenant de Chine, et plus particulièrement du fameux Monastère…»
KANO, FUNAKOSHI, UESHIBA, ET L’INFLUENCE CHINOISE
A titre de document figure le plan. La référence à la Chine est sans ambiguïté ! Qui est donc cet auteur ? Un quelconque dissident pro-chinois ? Le chef de file d’une quelconque sous-tendance ? Un illuminé cherchant à faire prendre des vessies chinoises pour des lanternes japonaises ? Non… c’est tout simplement Funakoshi Gichin lui-même Fondateur du Shotokan, pionnier okinaween du Karaté au Japon… Dans son ouvrage «Karaté Do Kyohan», le Maître Funakoshi persiste et signe cette affirmation, allant jusqu’à donner le nom chinois des principaux Katas de son Ecole : Kwang San Fu pour Kwanku du nom d’un attaché militaire chinois ayant résidé à Okinawa… Chi on Ji pour Jion dit nom d’un saint bouddhiste ayant donné son nom à un Monastère de Chine…
Plus tard, sous la pression des Nationalistes, le caractère Kara (provenant de Chine) sera modifié en Kara (vide d’armes ou d’intentions belliqueuses). Le Karaté Do deviendra donc «Art de la Main Vide» et toute référence à la Chine sera peu à peu écartée voire dénigrée. Le texte original subsiste quand même !
Maître Funakoshi avait certainement de très bonnes raisons pour le publier… ainsi qu’une excuse… Son illustre devancier Kano Jigoro, fondateur du Judo, faisait avant lui déjà référence à Shaolin en tant qu’ancêtre de sa méthode. Cette référence n’était pas négligeable puisque de son vivant il voulut être le seul à démontrer le «Kata Antique»… Koshiki No Kata… en Hakama de cérémonie, avec pour partenaires soit Yamashita, soit Isogai, ses deux plus fidèles disciples. Or Kosttiki No Kara était le joyau de l’Ecole de Jiu Jitsu Kito Ryu,méthode créée vers 1650 par un Chinois du nom de Chen Yuan Pin, connu au Japon sous le nom de Gempin.
Gempin était l’élève parfois en armure, en souvenir de cette filiation lointaine.
Après le Karaté Do, le Judo, il manquait encore un fleuron chinois aux Armoiries Japonaises… En créant l’Aïki Do, le Maître Ueshiba Morihei cita dans les Ecoles d’Aiki Jutsu ayant servi de base à sa méthode le Yagyu Shingan Jujutsu Ryu… II se trouve que le fondateur de cette école réputée dans tout le Japon était un certain Chang Wo Ting, connu sous le nom de Sanwo… comme le plus grand des hasards celui-ci avait également étudié à Shaolin. Cette référence assez subtile à la Chine dans l’une des Ecoles ayant permis de structurer l'Aïki Do fut d’ailleurs assez mal considérée à l’époque… Le Maître Ueshiba enseignait aux Officiers supérieurs et Officiers Généraux de la Marine Impériale du Soleil Levant… Par la suite il fut affirmé que le Maître Ueshiba avait étudié le Pa Kua lors de son séjour en Mandchourie… Son nom se trouverait dans certaines généalogies chinoises. A vrai dire cela n’a rien d’étonnant, les déplacements circulaires propres à l’Aikido n’étaient guère utilisés au Japon, mais caractéristiques de la «Boxe des Huit Trigrammes»… et la création de l’Aikido suit de peu le retour du Maître dans son pays natal via la Chine !
II existe encore de nombreux exemples significatifs… Le Maître Ueshi, créateur du Ueshi Ruy Karaté Do, passa dix ans de sa vie en Chine et enseigna même sur place. Doshin So, fondateur du Shorin Ji Kempo ne cachait pas ses attaches, et pour cause à la Tradition de Shaolin… allant même jusqu’à la recréer au Japon… Au Vietnam, de nombreuses écoles se réfèrent au Thieu Lam, en Malaisie au Sao Lim… La Corée admet que plusieurs anciennes écoles de Hwarang Do, de Tang Su (encore la Main des Tang !), de Subak, ancêtres directs du Taekwon Do, découlent directement de Shaolin.
Peut-il s’agir d’une simple coïncidence ? Non, bien évidemment. Chacun de ces Arts a évolué dans sa propre voie et trouvé une identité propre. Il n’en reste pas moins qu’ils ont tous un point commun… Shaolin !
Comme nous le précisions dans notre premier article (N° 118), le Dragon est multiple… et prête parfois à confusion. Le Monastère de Shaolin créé sous le signe du Dragon et du Tigre n’échappe pas à cette règle. En effet il n’existe pas un monastère Shaolin mais bien trois… et il fut une époque où cinq monastères se partageaient le privilège de cette renommée. Le plus connu d’entre-eux, . « Le Premier Monastère sous le Ciel », se situe sur le versant ouest du Mont Songshan, dans le Comté de Denfeng, province du Huan à une trentaine de km de l’ancienne capitale Luoyang. Le second fut construit sous la Dynastie des Tang (Ere Suzhong – 765) près de la ville de Quanzhou dans la province de Fujian (Fukien). Le troisième est situé sur le bord du Lac Honglong dans la province du Hebei. Les deux autres monastères situés dans le Fujian et dans le Sichuan furent rasés au début de la Dynastie Tsing (1644) et il n’en subsiste que quelques ruines éparses. Cette multiplicité eut comme conséquence d’entretenir de nombreux malentendus, de bonne ou de mauvaise foi, sur la survivance ou la destruction du fameux monastère… Dans l’esprit du public, même chinois, la destruction de l’un ou l’autre de ces cinq monastères équivalait à la disparition pure et simple de Shaolin… L’histoire mouvementée du «Temple de la Petite Forêt» s’étalant sur plus de 20 siècles, à une époque ou à une autre, chacun d’entre-eux subit un changement de nom, un abandon, un démantèlement, une catastrophe, une destruction. Certains furent restaurés sur place, voire agrandis, d’autres reconstruits en un autre lieu ou laissés pour compte.
Le Monastère du Hunan subit, par exemple, la «destruction des Trois Wu» du nom des Empereurs les ayant ordonnées par décret : Tai Wu Ti (556), Zu Wu Ti (692), Tang Wu Zhong (884), fut rebaptisé Monastère Zhihu sous les Sui (615), partiellement détruit suite à une attaque de brigands en 589, abandonné lors de l’abolition des Monastères en 890 puis de 960 à 975 suite à un décret de l’Empereur Tai Tsou, fut incendié en partie par les troupes Qing (Tsing) en 1736, puis en 1928 lors de la bataille entre Seigneurs de la Guerre. II subit enfin des dépravations lors de la Révolution Culturelle des Gardes Rouges en 1966 !
Le Monastère du Quanzhou, construit sous le règne de Suzhon de la Dynastie des Tang en 756, fut agrandi sous les Song (il abritait alors plus de 1 000 moines), brûla sous les Yuan (1278), fut restauré par Yong Lo sous les Ming (1403) mais rebaptisé Kai Yuan Shi, fut à nouveau détruit par les troupes Impériales de Yong Zheng (Young Ching) de la Dynastie Qing (Tsing) en 1723, fut à nouveau restauré par Kien Long en 1736 mais rebaptisé Dong Shan Lao Shi (Vieux Temple de Dongshan)… puis débaptisé à nouveau pour se nommer Kai Yuan Shi !
Le Monastère Honglong, construit sous le règne de Zhi Zheng (1341), fut également détruit plusieurs fois mais restauré sur place. Quant aux Monastères Shaolin de Julian Shan (1768), de Pu tian, de Fo Shan et de Cheng Du, ils furent totalement rasés par les Qing, ceci à tel point que leur existence même est sujette à caution. Dans ce contexte historique, il est facile à comprendre que les recherches sur Shaolin ne soient pas aisées ! Malgré cela, une constatation s’impose… nul ne put écraser le mythe Shaolin ni limiter l’expansion de la méthode de Wushu créée au Temple il y a près de 2000 ans… La vieille Ecole est encore vivace et a laissé de nombreux descendants qui se reproduisent fort bien tant en Chine qu’à l’étranger.
Ces gravures anciennes sont de véritables documents : elles représentent l’art martial enseigné à Shaolin.
LE NOMBRIL DU MONDE CHINOIS
Mais revenons au commencement… c’est-à-dire vers les années 100 avant notre ère…
Il existe Cinq Montagnes sacrées en Chine, situées aux points cardinaux de l’Empire : Tai Shan (Est), Hong Shan (Sud), Hua Shan (Ouest), Heng Shan (Nord), Song Shan (Centre). Cette dernière se situe donc «au milieu de l’Empire du Centre» et est donc considérée, en quelque sorte, comme le nombril de la Chine… donc du monde ! Pour situer l’importance du fait, il suffit de savoir que 12 des plus grands Empereurs de Chine se rendirent tour à tour en pèlerinage sur ce Mont Song : Huang Ti, Rao, Shun, Yu, Mu Wang, Wu, Ming, Wei, Gao Zhong, Wu Ze Tian, Kien Long…
Aucun lieu en Chine ne serait donc plus favorable au recueillement et à la méditation. Cent années avant notre ère, un premier Ermitage est construit sur le versant Ouest et reçoit les visiteurs de marque. Entre les années 78 et 100 de notre ère, cet ermitage est agrandi par les Moines du premier Monastère Bouddhiste construit en Chine, à Lo Yang, capitale des Han orientaux, située à une soixantaine de km. Le nouveau bâtiment servira de retraite d’été et sera couplé avec le Monastère du Cheval Blanc créé par l’Empereur Ming Ti en 60 de notre ère.
LES MILLES PREMIERES ANNEES
Lors des périodes troublées, le Trésor du Monastère du Cheval Blanc est mis en sécurité dans l’ermitage du Mont Song et plusieurs moines sont chargés de le protéger. Ils sont évidemment choisis parmi les plus robustes. De cette première époque date le commencement d’une réputation de «moines guerriers» du Mont Song qui ne s’éteindra plus. A plusieurs reprises, les tentatives des brigands pour s’emparer du trésor se solderont par des échecs cuisants. Vers les années 260, le Vénérable détaché à l’Ermitage, Chou Ching, fait élever un mur d’enceinte et s’attache les services de deux experts du combat à main nue : Kun Su Wei et Heng Ngai Chan. De 444 à 446 l’Empereur To Pa Tao promulgue plusieurs édits anti-bouddhistes et ordonne le démantèlement des principaux monastères, dont celui du Cheval Blanc. En 471, To Pa Hong II décide de transférer la Capitale Impériale à La Yang et restaure le Bouddhisme. L’Ermitage du Mont Song profite de la situation et affermit encore sa réputation. La position est exceptionnelle et de toute la Chine affluent des visiteurs. En 495, l’Empereur Hsiao Wen de la Dynastie des Tsi, impressionné, décide de créer sur l’emplacement de l’ermitage le plus grand monastère de Chine en l’honneur d’un moine indien : Batuo, connu également sous le nom chinois de Fo Lette ou Fo Ton. Le nouveau temple portera désormais le nom de Shaolin Shi «Monastère de la Petite Forêt» et l’Empereur lui décernera le titre de «Premier Monastère sous le Ciel» (Shi Yi Tien).
Article Original: http://tao-yin.fr/la-saga-du-wu-shu-un-casse-tete-chinois/le-temple-de-shaolin/ //Georges Charles