Les Trois Joyaux de Sūn Lùtáng : Xingyi, Bagua, et Taiji.

Sūn Lùtáng (1860-1933)

Sūn Lùtáng (1860-1933)

Sūn Lùtáng ou Sun Lu Tang 孫祿堂, né (d'après sa fille), le 22 décembre 1860 à Baoding (Chine) et mort le 16 décembre 1933, de son vrai nom Sun Fuquan, est un maître d'arts martiaux chinois. Il est le fondateur du Taiji-Quan (Taichi) style Sun.

Le jeune Sun Fuquan voit le jour dans le conté de Wan (actuellement Xian de Wangdu), relevant de la ville de Baoding dans la province du Hebei. Sa scolarité ne dure que deux ans, payée en nature par les récoltes offertes par son père à son enseignant. La vente forcée de la ferme familiale, due à des récoltes défaillantes et aux impôts exorbitants de la Dynastie Qing, entraîne le décès de son père, plongeant la famille dans la mendicité. Séparé de sa mère, Sun est placé comme serviteur dans une famille aisée en échange de gîte et de couvert. Cependant, il endure régulièrement des brutalités, notamment de la part du fils du maître et de son cousin.

Alors qu'il promène des animaux, Sun aperçoit un maître de Gongfu de Shaolin 少林 et le supplie de devenir son élève. Il étudie l'art de Shaolin pendant deux ans, ainsi que le Qigong dit "du jeune homme vierge". Un jour de nouvel an, se préparant à être de nouveau battu, il se rebelle contre le fils de son employeur, déclenchant une bagarre au cours de laquelle Sun fait rendre le repas à son adversaire.

Chassé et sans emploi, il envisage de se pendre pour ne pas être un fardeau pour sa mère. Sauvé par deux passants, il reçoit de l'argent qu'il utilise pour rejoindre son oncle à Baoding, dans le Hebei. Ce dernier possède une échoppe de matériel de calligraphie, où l'adolescent perfectionne son écriture en étiquetant les colis à expédier. Cette activité le met en contact avec un public de lettrés et d'érudits, renforçant ainsi son amour de la littérature.

L'oncle de Sun avait des amis, dont Zhang, impressionné par la calligraphie de l'adolescent, décide de le prendre sous son aile. Il lui enseigne les grands classiques et perfectionne sa calligraphie. Connaissant son intérêt pour les arts martiaux, Zhang le présente à un ami, Li Kuiyuan (李奎垣), érudit et maître du style de Gongfu Xingyi Quan 形意拳 (Boxe de la Forme et de l'Intention), propriétaire de la société d'escorte armée (Biaoju 鏢局) Tai An. À l'occasion du cinquantième anniversaire de Zhang, il est convenu que Sun devienne disciple de Li Kuiyan, sous la condition que Zhang accepte de fiancer sa fille à Sun Fuquan. Bien que conscient que sa formation est loin d'être achevée, Fuquan demande le report du mariage.

En 1877, Sūn Lùtáng débute son entraînement au Xingyi Quan sous la tutelle de Li Kuiyuan (李奎垣), disciple du renommé Guo Yunshen et membre influent de Biaoju 鏢局. Li Kuiyuan, doté d'un tempérament bouillant et de techniques redoutables, enseigne principalement la posture statique San Ti Shi, essentielle pour maîtriser cet art martial, développer la puissance et la compréhension. Après quelques années d'apprentissage avec Li, Sūn Lùtáng, grâce à ses qualités exceptionnelles, est recommandé à son propre maître, Guo Yunshen (ou Kuo Yun Shen), et devient son disciple en 1882.

Guo Yunshen étant un véritable monument, une sorte de héros vénéré et redouté, devenir un de ses élèves est déjà une consécration. Sa technique préférée, une attaque de paume irrésistible d'une puissance exceptionnelle, est devenue célèbre. Cette technique lui a valu une peine de trois ans de prison, car il a tué son adversaire net lors d'un affrontement à l'âge de vingt-cinq ans. Depuis cet incident, il interposait toujours le centre de sa main lorsqu'il attaquait, prétendant ainsi absorber l'énergie de son adversaire et éviter de le blesser gravement.

Seuls deux hommes avaient réussi à résister à sa technique redoutable : son ami Che (Chaï), pratiquant le Xing Yi Quan, et le célèbre maître de Bagua Zhang, Dong Haïchuan. Leur combat a été intense et "aurait duré trois jours", au cours desquels aucun des deux n'a réussi à porter une attaque décisive, même la redoutable paume de Guo s'est avérée inefficace. Épuisés, ils ont décidé de conclure un pacte, encore en vigueur aujourd'hui, permettant aux pratiquants de Xing Yi d'étudier le Bagua et vice-versa. En raison de la haute réputation de son école, Guo n'acceptait que des élèves de première valeur, ce qui limitait le nombre d'étudiants à une trentaine.

Après plus de quinze années d'entraînement au Xingyi Quan, Guo Yunshen suggère donc à Sun d'explorer le Bagua Zhang (Paume des 8 trigrammes) avec Cheng Tinghua (élève direct de Dong Haichuan surnommé l'invincible "cobra" par ses élèves parce qu'il était myope), qui le renomme Lutang 祿堂. À cette époque, une convergence entre les écoles de Xingyi Quan et de Bagua Zhang, initiée entre autres par Li Cunyi et son nouveau maître, est en cours. Sun est accepté comme disciple et étudie le Bagua Zhang pendant trois ans, relevant plusieurs défis lancés contre l'école de Cheng.

À la fin de son enseignement, le maître de Bagua Zhang suggère à Sun d'approfondir ses connaissances en étudiant le Qi Gong et le Yi Jing (Yi King) pour comprendre leur relation avec la boxe. Il rencontre un moine itinérant de l'Emei qui lui transmet les enseignements du Yi Jing. Par la suite, Sun ouvre des écoles à Beijing et Shanghaï, attirant de nombreux élèves. À 54 ans, il sauve Hao Weizhen, un célèbre maître d'arts martiaux sur le point de mourir dans une auberge à Beijing. Reconnaissant, Hao enseigne à Sun son style de Taiji Quan, faisant de lui l'héritier des trois lignées d'arts martiaux internes, appris en 1914. En seulement quatre ans, Sun atteint un niveau extraordinaire grâce à sa connaissance préalable des principes des boxes internes.

En 1915, Sun est invité par les maîtres Wu Jianquan, Yang Chengfu et Yang Shaohou à l'Institut de Recherche de l'Éducation Physique de l'université de Beijing. Il offre des conférences sur l'avenir de la boxe chinoise dans l'ère moderne et ses liens avec la santé, démontrant sa conscience de son époque.

L'année suivante, Sūn Lùtáng entreprend d'écrire pour le grand public, luttant contre les fléaux de l'opium, de la maladie et de la famine. Il promeut l'utilisation de la boxe pour renforcer la santé, inaugurant ainsi une série de cinq ouvrages.

Doté d'une compréhension approfondie des principes sous-jacents des trois arts martiaux dits "internes", Sun crée le Taiji du style Sun en combinant leur essence. Pionnier, il ouvre la première école publiquement dédiée aux femmes en Chine, confiée à sa propre fille. En 1933, anticipant sa mort à l'âge de 74 ans grâce au Yi-King, Sun décide de retourner à Baoding, où il décède dans la maison de sa naissance. Surnommé le « maître des 3 paumes » en raison de sa maîtrise des trois arts internes, Sūn Lùtáng reste invaincu dans une soixantaine de combats, y compris contre des étrangers tels que le lutteur russe Peter Lufa et l'émissaire de l'Empereur du Japon, Itagaki Kazuo. Son existence marque la fin de l'âge d'or du développement des arts martiaux internes en Chine.

Héritage
De nos jours, le style Sun demeure relativement méconnu. Cette lacune s'explique en grande partie par la période tumultueuse pendant laquelle Sun Lutang a diffusé son enseignement, marquée par des bouleversements historiques tels que la fin de l'impérialisme en 1911, l'avènement de la première république de Chine en 1912, suivie de l'ère des Seigneurs de la Guerre en 1928, et, après sa disparition, l'instauration temporaire de la république populaire de Chine en 1949, où les arts martiaux et énergétiques chinois furent brièvement interdits.

Le Maître Sun a également beaucoup voyagé entre ses écoles à Beijing et Shanghai, ainsi que lors de son service militaire où il enseigna aux troupes. Il occupa des postes importants dans des institutions martiales, notamment en tant que vice-président de celle du célèbre Général Li Jinglin, héritier du maniement de l'épée selon la tradition de Wudang 武當.

Bien que son fils, Sun Cunzhou, ait atteint un niveau de pratique élevé, il enseigna seulement à un cercle restreint de disciples, incluant ses deux filles, Sun Shurong et Sun Wanrong, les petites-filles du fondateur. 
Sun Lutang meurt en 1933 à l'âge de soixante-quatorze ans, et ne jugeant pas qu’un de ses élèves soit digne de lui succéder, il emporte dans la tombe le secret de son coup de paume. Seule Sun Jianyun (sa fille) enseigna publiquement, consacrant sa vie à transmettre scrupuleusement et fidèlement l'enseignement de son père.

Particularités techniques des Styles Sun

Le Taiji Quan, à l'origine appelé "Kai He Huo Bu Taiji Quan" en référence aux multiples mouvements d'ouverture et de fermeture ainsi qu'aux impulsions des pas, demeure le style le plus largement pratiqué des trois. Néanmoins, chacun des styles possède ses spécificités propres par rapport à ses racines.

La posture statique Santi Shi reste fondamentale, quelle que soit la branche du style étudiée. Généralement, les étudiants s'initiant au Style Sun commencent par le Xingyi Quan, poursuivent avec le Bagua Zhang afin de maîtriser parfaitement le Taiji Quan et d'en saisir toutes les subtilités.

Le Xingyi Quan du Style Sun : Ce style est demeuré relativement orthodoxe, préservant les techniques des 5 Éléments et des 12 animaux, ainsi que quelques formes (Taolu 套路). Bien qu'il n'ait pas conservé toutes les formes, Sun Lutang a dissimulé les principes de celles-ci dans celles qu'il a maintenues. L'accent est mis davantage sur l'étude des principes que sur la technique pure, aboutissant à la boxe spontanée où la technique se dissout au profit des principes. Les déplacements s'inspirent du style Guo de son maître, avec notamment l'utilisation du fameux demi-pas (Ban Bu 半步), et l'ordre des éléments est le suivant : Métal, Bois, Eau, Feu, Terre. Des exercices de proprioception abondent, tels que Tuishou, Roushou, et Taolus pratiqués à deux. Les armes les plus fréquemment utilisées dans ce style sont la lance, le sabre dit "feuille de saule" et l'épée. La progression dans le Xingyi Quan se divise en trois niveaux : Mingjing, la force démontrée, Anjing, la force dissimulée, et Huajin, ou force transformée. Ces niveaux correspondent respectivement aux processus alchimiques de renforcement des os, de transformation des tendons, et enfin, de nettoyage des moelles.

Le Bagua Quan du Style Sun : Sūn Lùtáng développa une forme dite "des 8 animaux" pour son Bagua Zhang, basée sur la marche en cercle et les techniques mères telles que le "simple changement de paume" et le "double changement de paume". Suivent les 8 animaux, associés aux trigrammes du Yijing : Lion, Qilin, Serpent, Épervier, Dragon, Ours, Phoenix et Singe. L'arme la plus courante dans ce style est l'épée. Une forme, la nage du Dragon, associée au maître Ji Jian Cheng, dont l'origine est incertaine, est également liée au style Sun. Cette forme reprend les éléments essentiels du Xingyi Quan et du Bagua Zhang. Globalement, l'étude du style se déroule selon trois niveaux de pratique : la forme aux postures fixes, la forme liée, et la forme spontanée. Ses particularités comprennent un déplacement du talon vers la pointe, contrairement au pas "glissé dans la boue" classique de ce style de combat, et un grand nombre de projections.

Le Taiji Quan du Style Sun : Composé de 98 mouvements, ce style de Taiji présente des postures dynamiques, hautes et des mouvements courts, particulièrement adaptés au combat. Sun Lutang a conservé du Xingyi Quan le déplacement en demi-pas (Ban Bu 半步) et du Bagua Zhang, les mouvements de taille circulaire utilisés notamment pour les projections, ainsi que l'usage de la posture Gou Bu 钩步 (pas unciforme). Plusieurs formes ont émergé pour faciliter l'accès, dont celle de synthèse en 73 mouvements créée par sa fille, ainsi que des formes d'épée, séparable en deux parties pour le travail à deux et pour les exercices de poussées des mains (Tuishou).

Sun Lutang encourageait ses étudiants à développer leur propre esprit de recherche.

Famille
En 1891, Sūn Lùtáng épousa Zhang Zhouxian et eut quatre enfants :

- Sun Xingyi (1891-1929), qui ne manifesta jamais d'intérêt pour les arts martiaux.
- Sun Cunzhou (1893-1963), qui enseigna de manière confidentielle et eut peu de disciples.
- Sun Huamin (1897-1922), décédé suite à un accident de gymnastique.
- Sun Jianyun (1913-2003), qui enseigna publiquement l'art de son père jusqu'à sa mort et compta de nombreux élèves.

Sūn Lùtáng fut le précurseur dans la rédaction d'ouvrages sur les arts martiaux internes destinés au grand public. Il est l'auteur de cinq livres :

- "Xing Yi Quan Xue, The Study of Form-Mind Boxing" (1915), traduit par Albert Liu, Unique Publications, 1993.
- "Bagua Quan Xue, The Study of Eight Trigrams Boxing in Classical Baguazhang Vol. XIII, Sun Style Baguazhang" (1916), traduit par Joseph Crandall, Smiling Tiger Martial Arts, 2002.
- "A Study of Taijiquan" (1919), traduit par Tim Cartmell, Blue Snake Books, 2003.
- "Quan Yi Shu Zhen, True Description of the Meaning of Boxing" (1923).
- "Bagua Jian Xue, The Study of Eight Trigrams Sword in Classical Baguazhang Vol. XIII, Sun Style Baguazhang" (1927), traduit par Joseph Crandall, Smiling Tiger Martial Arts, 2002.

En conclusion, la vie de Sun Lutang demeure une épopée remarquable qui transcende le monde des arts martiaux chinois. Pionnier et visionnaire, il a laissé un héritage indélébile à travers ses innovations dans les arts martiaux internes, ses écrits influents, et la transmission de son savoir à travers les générations. Son intégration harmonieuse de la santé, de la philosophie daoïste, et des techniques de combat a tracé la voie pour une compréhension plus profonde et holistique des arts martiaux traditionnels chinois. Sun Lutang demeure une figure emblématique, rappelant aux pratiquants actuels que la maîtrise va au-delà de la technique, englobant également la santé physique, mentale, et la connexion spirituelle. Sa contribution continue à illuminer le chemin de ceux qui cherchent à explorer les richesses des arts martiaux chinois.

 

Sources: Wikipedia, TaoYin.fr, Chinese ressources & Xin Yi Quan Xue : The Study of Form Mind Boxing de SUN Lu Tang, Pacific Grove, High View Publicaions – 1993 -Traduit par Albert Liu.

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